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05/05/2016

1936 : le cardinal archevêque de Paris irrite la droite

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 À méditer aujourd'hui, un manifeste toujours actuel :


 

 

3 mai 1936 : par une augmentation d'à peine 1 % des suffrages de gauche, le Front populaire a gagné les législatives. Léon Blum va former le gouvernement. Il choisit une équipe de néophytes – beaucoup de jeunes radicaux de gauche – et sans ministres communistes... Le 4 juin, Albert Lebrun nomme Blum président du Conseil. La droite déchaînée tient un langage de guerre civile auquel une partie de l'opinion catholique n'est pas insensible : « A bas le Front crapulaire ! Les bolcheviques vont s'emparer du pays ! »

 

front populaire,1936C'est alors – le 5 juin – que le cardinal Jean Verdier, archevêque de Paris, publie au nom de l'Eglise catholique un manifeste que tous les prêtres du diocèse devront lire en chaire le dimanche suivant. Ce texte est d'une teneur qui sidère (et irrite) les éditorialistes de droite : il est centré sur la misère du monde ouvrier, les vices de l'ordre établi et l'urgence d'y porter remède. Le cardinal dit clairement aux catholiques que l'heure n'est pas à la guerre civile mais à la réforme sociale courageuse :

<< A la conscience de tous s'impose en ce moment un grave devoir : le devoir pour tous, patrons et ouvriers, citadins et ruraux, moralistes, pasteurs et fidèles, d'aider résolument à la solution du problème économique qui nous angoisse. La souffrance universelle le met au premier rang et lui donne un caractère sacré. Il est bien vrai que ce problème a des aspects techniques et des ramifications politiques et autres, qui échappent à la compétence du plus grand nombre. Mais tous, nous élevant au-dessus des solutions partisanes, nous avons le devoir de créer une atmosphère de paix et de fraternité, dans laquelle les hommes compétents pourront étudier avec un courage serein ce problème si épineux ; le devoir de sacrifier nos rancoeurs, nos préférences politiques et sociales et, dans une certaine mesure, nos intérêts eux-mêmes, à cette paix sociale ; le devoir de dire loyalement ce que notre conscience nous dicte comme la meilleure solution du problème, et de laisser ensuite à nos institutions normales le soin de prendre les mesures effectives et justes. En dehors de cette voie, c'est l'erreur, c'est le danger, c'est l'abîme ! Les dangers extérieurs qui nous menacent, l'horreur des luttes fratricides qui sont au bout de cette voie d'individualisme outrancier, […] tout demande au chrétien sincère, au Français digne de ce nom, à l'homme qui aime vraiment son frère, de ramener parmi nous la paix, la concorde, la véritable fraternité, et de s'appliquer sans retard et courageusement à la constitution de cet ordre nouveau [1] que tous appellent.  >>

Le Populaire du 6 juin salue le manifeste Verdier comme un appel de l'Eglise au patronat en faveur des revendications ouvrières.

Mais durant la bataille des législatives de 1936, la droite n'a pas dit un mot de la question sociale et n'a misé que sur l'anticommunisme ; elle va s'enfermer dans cet aveuglement. La bien-pensance de 1936 mérite ce que Bernanos vient alors d'écrire à son sujet dans le Journal d'un curé de campagne << Cette idée si simple que le travail n'est pas une marchandise soumise à la loi de l'offre et de la demande, qu'on ne peut pas spéculer sur les salaires, sur la vie des hommes, comme sur le blé, le sucre ou le café, ça bouleversait les consciences, crois-tu ? Pour l'avoir expliqué en chaire à mes bonshommes, j'ai passé pour un socialiste et les paysans bien-pensants m'ont fait envoyer en disgrâce à Montreuil... >>

Mais efront populaire,1936n mai-juin-juillet 1936,  nombre de journaux catholiques emboîtent le pas à la presse de droite et non au cardinal archevêque de Paris. « Il fait bien noir, tout ce mois de juin, au ciel de France », écrit ainsi Le Pèlerin ; et il ampute carrément le texte du cardinal Verdier des paragraphes sociaux que je reproduis ci-dessus [2]. Imperturbable, le cardinal déclare que son manifeste n'a fait que rappeler la doctrine de l'Eglise. Mieux : le cardinal Pacelli, secrétaire d'Etat du Saint-Siège, adresse à l'archevêque de Paris une lettre de félicitations signée de Pie XI !

Jean Verdier mourra le 9 avril 1940 à Paris. On imagine ce qu'il aurait écrit, dit et fait s'il avait connu les années Vichy.

 

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[1]  Les mots « ordre nouveau » n'ont pas alors la connotation qu'ils auront après 1940. Dans l'Humanité du 7 juin, Paul Vaillant-Couturier voit dans l'appel du cardinal une condamnation de « l'égoïsme des possédants ».

[2]  Pensons aux contorsions des sites ultras de 2015-2016 devant Laudato Si' et Amoris laetitia.

 

Commentaires

> Excellent, merci de nous rappeler ou plutôt de nous apprendre cela.
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Écrit par : Margueritte / | 05/05/2016

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